Quand on parle de sexualité et de sextoys, on oublie encore bien trop souvent un sujet essentiel : le handicap. Pourtant, les personnes en situation de handicap ont les mêmes désirs, besoins de tendresse, de plaisir, de découverte. Simplement, leurs corps, leurs gestes, leur énergie ne fonctionnent pas toujours de la même manière. Et c’est là que les sextoys peuvent devenir de véritables alliés, à condition d’être adaptés, choisis et utilisés en respectant les besoins de chacun·e.
Dans cet article, je veux partager avec toi une vision très simple : il n’y a pas de “corps normaux” et “corps anormaux”. Il y a juste des corps différents, et tous peuvent avoir accès au plaisir. Les sextoys ne sont pas réservés à des silhouettes standardisées, souples, musclées et sans douleurs. Ils peuvent être pensés comme des outils de liberté, de réappropriation de son corps, et parfois même comme des soutiens techniques très concrets.
Pourquoi parler de sextoys et handicap ?
Je rencontre souvent deux idées reçues : la première, c’est que les personnes en situation de handicap auraient “moins” de désir. La deuxième, c’est que leur plaisir serait forcément compliqué, voire impossible. Ces deux mythes sont non seulement faux, mais aussi violents, parce qu’ils invisibilisent la vie intime de millions de personnes.
Le handicap peut prendre des formes très différentes :
- Handicaps moteurs (difficultés à bouger, à se positionner, à se servir de ses mains…)
- Handicaps sensoriels (malvoyance, surdité, hypersensibilité tactile…)
- Handicaps chroniques ou douloureux (fatigue, douleurs articulaires, inflammations…)
- Handicaps cognitifs ou neurodivergences (troubles de l’attention, autisme, difficultés de communication…)
Et chacun de ces contextes peut influencer la manière dont on accède au plaisir : la position qu’on peut prendre, la durée dont on dispose, l’énergie qu’on a, les stimulations qu’on supporte, etc. Les sextoys, bien choisis, peuvent justement aider à contourner certaines limites, à adapter la stimulation, à gagner en autonomie ou à partager différemment le plaisir avec un·e partenaire.
Se réapproprier son corps à son rythme
Quand on vit avec un handicap, on a parfois un rapport au corps teinté de médical, de soins, de rééducation, de rendez-vous médicaux. Le corps devient alors un “projet” ou un “dossier” plus qu’un espace de plaisir. Pour moi, les sextoys peuvent agir comme de petites invitations à se reconnecter à autre chose : la curiosité, la douceur, l’exploration ludique.
Utiliser un sextoy, ce n’est pas forcément chercher l’orgasme à tout prix. Ça peut être :
- Redécouvrir des zones de son corps, même si certaines parties sont moins sensibles ou au contraire très sensibles
- Apprendre ce qui est agréable ou pas, pour mieux le communiquer à un·e partenaire
- Se créer des moments pour soi, où l’on ne pense pas à la performance, mais à la sensation
Et si tu es en couple, ou dans une relation polyamoureuse, ou tout autre forme de relation, les sextoys peuvent aussi être un moyen de réinventer la sexualité pour s’adapter aux capacités de chacun·e, jour après jour. Le handicap peut être stable, fluctuant, évolutif : le plaisir aussi peut se réajuster.
Quels sextoys peuvent faciliter le plaisir quand on a des limitations motrices ?
Les difficultés de préhension, de force dans les mains, de mobilité des bras ou des jambes peuvent rendre certains sextoys difficiles à utiliser. Ça ne veut pas dire que c’est impossible, mais qu’il faut adapter les choix.
Quelques pistes que j’aime bien conseiller :
- Sextoys avec poignée ou forme ergonomique : certains vibromasseurs ou stimulateurs ont une poignée large, antidérapante, ou une forme en anneau qui évite d’avoir à serrer fort. C’est plus confortable quand les mains fatiguent vite ou qu’on manque de force.
- Vibromasseurs légers et compacts : un toy très lourd peut être pénible à maintenir en place. Un petit stimulateur externe, un vibromasseur “bullet” ou un mini wand peut être plus pratique à manipuler.
- Sextoys mains-libres : il existe des stimulateurs qui se glissent dans les sous-vêtements, des plugs, des cockrings vibrants, ou encore des sextoys qui s’attachent par harnais. Ils demandent moins de maintien actif pendant l’utilisation.
- Sextoys contrôlés à distance : certains fonctionnent avec une télécommande ou une application mobile. C’est précieux quand il est plus facile de cliquer sur un bouton que de tenir et régler un objet en même temps.
- Accessoires de maintien : parfois, de simples coussins, oreillers, cales peuvent faire une énorme différence pour atteindre certaines zones ou rester dans une position agréable.
L’idée générale, c’est de réduire l’effort nécessaire pour accéder au plaisir : moins de force, moins de gestes complexes, moins de torsions. Et si tu as un·e partenaire, il ou elle peut évidemment prendre le relais pour manier le sextoy, tout en respectant tes limites et ton consentement.
Adapter le plaisir quand on vit avec des douleurs ou de la fatigue
Les douleurs chroniques, la fatigue, les inflammations peuvent rendre certaines stimulations désagréables, voire impossibles. Là encore, l’objectif n’est pas d’ignorer la douleur, mais de l’écouter pour mieux la contourner.
Dans ce contexte, je trouve particulièrement utiles :
- Les stimulations douces et réglables : choisir des sextoys dont l’intensité peut aller du très faible au plus fort permet d’ajuster vraiment selon ton état du moment. Les wands avec un mode très doux, les suceurs clitoridiens réglables, ou les petits vibros avec plusieurs vitesses peuvent être intéressants.
- Les sextoys lents et enveloppants : certains jouets ne misent pas sur des vibrations très fortes, mais sur des mouvements plus amples ou des sensations de pression. Pour un corps douloureux, ça peut être moins agressif.
- Les jouets qui demandent peu d’efforts physiques : par exemple, des stimulateurs externes plutôt que des pénétrations longues et intenses, si cela provoque des contractions ou des douleurs.
- Des sessions courtes et fréquentes : rien n’oblige à viser un long moment de masturbation ou un gros orgasme. De petites parenthèses sensuelles, même de quelques minutes, peuvent déjà aider à se reconnecter au plaisir.
Et surtout, écouter son corps : un sextoy qui passe très bien un jour peut être insupportable le lendemain. Ce n’est pas “toi le problème”, c’est simplement ton état du moment. Tu as le droit d’ajuster, de changer, d’arrêter dès que tu veux.
Quand les sens fonctionnent autrement : vue, ouïe, toucher
Les handicaps sensoriels vont influencer la manière dont on perçoit le sextoy et son environnement, mais aussi la manière d’être guidé·e.
Si tu es malvoyant·e ou non-voyant·e, par exemple, certains sextoys peuvent être plus simples à utiliser :
- Des commandes en relief, grosses touches faciles à repérer
- Des formes intuitives, avec peu de boutons et de modes différents
- Une surface uniforme, agréable au toucher, pour se repérer sur son propre corps
Si tu es sourd·e ou malentendant·e, le bruit du sextoy sera peut-être moins gênant, mais les signaux sonores (bips, applis) seront moins pertinents. Il vaut mieux des jouets avec des retours clairs par vibrations, changements de lumière ou sensations dans la main.
Et si tu es hypersensible au toucher, certains matériaux ou niveaux de vibration peuvent être désagréables. Tu peux alors privilégier :
- Des jouets en silicone très doux, non poreux, sans relief agressif
- Des intensités basses, avec une montée progressive
- Des formes arrondies, sans angles marqués
Communiquer avec un·e partenaire autour du handicap et des sextoys
Je sais à quel point il peut être délicat de parler de handicap dans l’intimité : peur de l’ennuyer, de “casser l’ambiance”, peur d’être jugé·e, ou au contraire infantilisée. Pourtant, pour intégrer sereinement un sextoy dans une relation, quelques échanges honnêtes font souvent toute la différence.
Quelques pistes de discussion que je trouve utiles :
- Ce que ton corps aime ou n’aime pas : les zones à éviter, celles qui sont agréables, les positions confortables, celles qui réveillent la douleur.
- Ce que tu attends du sextoy : plus d’autonomie ? De la variété ? Moins d’efforts physiques ? Un partage différent du plaisir ?
- Ce que ton ou ta partenaire peut faire : tenir le sextoy, gérer les réglages, aider à te positionner, observer les signaux de fatigue ou de douleur.
Ton handicap ne doit pas être un tabou. Il fait partie de toi, mais il ne te résume pas. Parler de tes besoins, c’est aussi revendiquer ton droit au plaisir sur-mesure, pas au plaisir “comme tout le monde parce que c’est comme ça qu’il faut faire”.
Quelques critères pour bien choisir son sextoy quand on est en situation de handicap
Pour finir, je te propose quelques repères pratiques à garder en tête au moment de l’achat. Ce ne sont pas des règles figées, mais des questions à te poser :
- Est-ce que je peux le tenir facilement ? (poids, taille, forme, grip)
- Les boutons sont-ils simples à utiliser ? (taille, emplacement, nombre, relief)
- Est-ce que je peux le nettoyer sans difficulté ? (résistance à l’eau, surface lisse, matériau)
- Les niveaux d’intensité me semblent-ils adaptés à ma sensibilité ?
- Est-ce que je peux l’utiliser seul·e, ou ai-je besoin de l’aide d’un·e partenaire ? (et est-ce que ça me va ?)
- Est-ce compatible avec mes appareils médicaux ? (stimulateurs électriques, pompes, etc. nécessitent parfois un avis médical, notamment en cas de pacemaker ou autre dispositif implanté)
Tu as aussi le droit d’essayer et de te tromper. On ne trouve pas toujours le sextoy parfait du premier coup, handicap ou pas. L’important, c’est de garder la curiosité, de t’écouter, et de te rappeler que ton plaisir mérite autant d’attention que n’importe quel autre aspect de ta santé et de ton bien-être.
Les sextoys ne “réparent” pas un corps, parce qu’il n’y a rien à réparer. Ils peuvent simplement t’aider à apprivoiser ton corps tel qu’il est, avec ses forces, ses fragilités, ses particularités. Et à écrire, à ton rythme, une version de la sexualité qui te ressemble vraiment.
Emmanuelle
